De toute évidence, il faudra  former un certain nombre de personnel soignant, notamment à l’examen bucco-dentaire visuel, à sa documentation et son enregistrement dans le dossier individuel de soins du résident.

Les récentes modifications des normes applicables aux maisons de repos et de soins, en particulier celles relatives à l’alimentation et à l’incontinence, semblent répondre directement au scandale Orpéa qui a bouleversé l’opinion publique il y a deux ans. Le texte de loi publié en février 2024 accorde une attention particulière à la santé bucco-dentaire des résidents des maisons de repos et de soins, reconnaissant ainsi son importance pour l’amélioration de la qualité de vie de nos aînés.

Le « scandale Orpéa » a éclaté en janvier 2022, impliquant l’une des plus grandes entreprises mondiales de gestion de maisons de retraite et de cliniques. Ce scandale a été révélé par le livre « Les Fossoyeurs » du journaliste Victor Castanet, qui mettait en lumière les mauvais traitements des résidents, des pratiques financières douteuses et une pression excessive sur le personnel de soins. Bien que principalement français, ce scandale a eu des répercussions significatives en Belgique, où Orpéa est également un acteur important dans le secteur des maisons de repos et des soins de santé pour les personnes âgées. Cette affaire a entraîné une prise de conscience accrue des conditions de vie dans les maisons de repos, soulignant la nécessité d’une surveillance rigoureuse et d’une régulation stricte pour garantir le bien-être des résidents. En Belgique, la compétence des maisons de repos est régionalisée. Le 14 décembre 2023, un Arrêté du Gouvernement wallon modifiait l’annexe 120 du Code réglementaire wallon de l’action sociale et de la santé, notamment les normes relatives à l’alimentation et à l’incontinence en MR-S (comme une réponse à l’inacceptable rationnement de « biscuits et de couches » supposé avoir été instauré dans certaines maisons d’après ce même livre)

La santé bucco-dentaire est longtemps restée et reste encore le parent pauvre des soins en institutions. Même si le personnel de soins est sensibilisé à son importance, ce soin demeure le plus simple à négliger en cas de manque ponctuel de temps ou de personnel. Jusqu’à ces récentes modifications réglementaires, le statut de la santé bucco-dentaire en maisons de repos et de soins était flou, laissé à la discrétion des différentes interprétations de « la mise en place de politiques en matière de soins bucco-dentaires ». Le nouveau texte de loi est bien plus explicite, passant de vagues « politiques » à une « procédure » spécifique dont les actions doivent être suivies pour être en conformité. Dès septembre 2024, le dossier de soins du résident devra inclure une « procédure pour le suivi de l’état bucco-dentaire du résident qui contient un examen visuel de l’état bucco-dentaire du résident lors d’une plainte de celui-ci, la périodicité de cet examen et son enregistrement dans le dossier individuel de soins ».

Il faut saluer l’initiative de l’Agence Wallonne pour une Vie de Qualité (Aviq), qui a organisé dès le 29 février dernier un webinaire explicatif sur la modification des normes, réunissant plus de 400 participants (directions administratives et médicales de maisons de repos) préoccupés par les moyens humains et financiers nécessaires pour se conformer à cette nouvelle réglementation. Quelques questions sur la procédure à mettre en place pour la santé bucco-dentaire sont cependant restées sans réponses claires.

Je veux ici, en toute humilité, apporter mon éclairage de dentiste qui dédie son exercice exclusivement aux personnes âgées en institutions, en France depuis 10 ans, et en Belgique depuis 5 ans, où j’ai eu la chance d’examiner plus de 6 000 patients en Wallonie et en Région bruxelloise, et d’y former près de 1 200 membres du personnel de soins dans une centaine de MRS. Peu de dentistes (mais il y en a) se déplacent « au chevet » du résident à mobilité réduite, et peu de résidents (mais il y en a) se présentent à la clinique dentaire accessible aux fauteuils roulants. Chacun comprendra que le suivi de l’état bucco-dentaire du résident préconisé par la nouvelle réglementation, ne sera pas assuré par des dentistes (ni par le peu d’hygiénistes bucco-dentaires disponibles en Belgique) mais certainement par du personnel de soins de l’institution, rajoutant une charge supplémentaire à leurs nombreuses responsabilités déjà assumées. De toute évidence, il faudra  former un certain nombre de personnel soignant (à mon avis 2 à 4 personnes selon la taille de la MRS) notamment à l’examen bucco-dentaire visuel, à sa documentation et son enregistrement dans le dossier individuel de soins du résident. Mettre en place une procédure pour le suivi de l’état bucco-dentaire indique une méthode organisée, systématique et reproductible, qui devra également être « acceptée » par les autorités à défaut d’être reconnue par la communauté scientifique comme « evidence based ». Il est nécessaire de former le personnel soignant à l’utilisation de procédures d’enregistrement précises et reproductibles, qu’elles soient existantes (telles que les grilles OAG, GOSO ou BelRai) ou plus innovantes, en mettant l’accent sur leur rapidité d’exécution. Car avant de remplir un formulaire ou une grille, il faut avoir pris le temps d’examiner la cavité buccale !

Si l’on reprend le texte de loi, l’examen visuel semble bien être l’élément fondamental de la procédure ; il est obligatoire en cas de plainte, il peut être récurrent puisque l’on parle de périodicité, et il est tout aussi pertinent pour constater un état bucco-dentaire et le suivre dans le temps. Je veux confirmer ici, qu’avec une formation adéquate, les personnels de soins des maisons de repos pourront tout à fait réaliser des examens visuels de base pour surveiller l’hygiène bucco-dentaire des résidents et identifier des signes visibles de pathologies orales qui nécessitent une orientation vers un professionnel de la santé bucco-dentaire. La qualité de l’examen visuel dépend de l’expérience et de la formation du personnel de soins, ainsi que de sa capacité à utiliser les instruments d’examen disponibles et à interpréter les signes cliniques observés. Actuellement, les outils d’examen et d’enregistrement de l’état bucco-dentaire dont disposent la plupart des maisons de repos sont relativement limités. En général, l’examen visuel se fait à l’aide d’abaisse-langues à usage unique et de l’éclairage naturel ambiant du lieu d’examen. Pour l’enregistrement, des grilles d’évaluation, telles que l’Oral Assessment Guide (OAG), sont utilisées depuis plus de 40 ans. Il existe de nombreuses versions de ces grilles, mais aucune ne fait l’unanimité. Ces grilles complexes exigent de l’examinateur qu’il attribue une note de 0, 1 ou 2 à divers items comme la voix, les lèvres, les dents, les gencives ou la salive, en fonction de la gravité de l’état observé. Même la grille simplifiée BelRai, adoptée en Région flamande, qui propose seulement six cases à remplir par un oui ou un non est décriée par de nombreux professionnels. Il est impératif que ces outils d’examen et d’enregistrement évoluent pour répondre aux besoins croissants et spécifiques de la population âgée en maisons de repos.

L’examen visuel de l’état bucco-dentaire d’une personne est un instant éphémère qui reflète un état spécifique à un moment donné. Le moyen le plus simple de capturer cet état est d’en prendre une photo ! Une documentation photographique de l’examen visuel de l’état bucco-dentaire des résidents offrirait une image « analysable » tout comme une radiographie panoramique, permet au dentiste d’appréhender l’état général de la denture d’un patient. La qualité des photographies intra-buccales prises avec un smartphone est amplement suffisante pour évaluer l’état bucco-dentaire, visualiser une difficulté masticatoire, ou détecter des carences en matière d’hygiène bucco-dentaire. Cette documentation photographique constitue aussi un complément essentiel pour améliorer la communication avec le dentiste, en particulier lors d’une plainte du résident.

Cette approche simple et peu coûteuse, qui ne nécessite qu’un équipement de base pour réaliser des photos intra-buccales, permettrait d’atteindre les objectifs d’un examen visuel réalisé par le personnel de soins des maisons de repos (MR-S). La formation d’un personnel motivé, devra être davantage orientée vers la réalisation de photos intra-buccales précises, exploitables et reproductibles, plutôt que de se concentrer sur le remplissage de cases dans une grille destinée à déterminer un score, après avoir pseudo-analysé des situations bucco-dentaires hypothétiques.

La lecture des images récoltées pourra alors se faire en concertation interne entre les soignants de l’institution ou avec l’avis de dentistes. La même simplicité doit accompagner le personnel de soins dans l’enregistrement de l’examen visuel de l’état bucco-dentaire dans le dossier individuel de soins du résident, garantissant ainsi une traçabilité des soins et un suivi rigoureux de l’état de santé bucco-dentaire du résident. En réalisant ces « examens photographiques », le personnel de soins leur confère une dimension thérapeutique, similaire à l’envoi d’une prise de sang au laboratoire, en attendant l’analyse des photos intraorales pour déclencher un acte thérapeutique ou apporter des modifications dans la vie quotidienne (alimentation, hygiène, etc.). Ceci devrait augmenter la motivation à réaliser de bons examens.

Il faut saisir l’opportunité offerte par ce texte de loi novateur dans le domaine de la santé bucco-dentaire des aînés en maisons de repos pour y répondre de manière sérieuse et optimale, dans le seul but d’améliorer la qualité de vie des résidents.

Dr Benoliel Simon, DDM Paris VII, 1987. Fondateur de fsbd.org

Les formations élaborées par Fsbd.org, spécifiques à la santé bucco-dentaire des personnes âgées en maisons de repos, constituent un programme d’accompagnement du personnel de soins dans le maintien de la santé orale des aînés, par le suivi de leur état bucco-dentaire ou de leurs plaintes et par l’application et l’évaluation des bonnes pratiques d’hygiène bucco-dentaire enseignées. Pour ses formations théoriques et pratiques, Fsbd.org utilise un contenu original, fondé sur la pratique clinique de ses dentistes, et mis à jour par les études et conférences de consensus. Pour ses formations cliniques, Fsbd.org utilise ses propres outils d’examen, adaptés à la morphologie buccale et à l’état physique des personnes âgées, ainsi qu’aux contraintes de temps et au niveau d’expérience du personnel de soins.