Hygiène bucco-dentaire en MR-S EHPAD

Par Dr Simon Benoliel DMD

Dans les établissements pour personnes âgées, la toilette bucco-dentaire est un geste quotidien dont la qualité influence directement la nutrition, le confort, et la prévention des infections respiratoires.
Les autorités sanitaires — comme l’ARS Île-de-France — promeuvent des protocoles standardisés, fondés sur des arbres décisionnels aboutissant à des fiches illustrées.
En parallèle, des programmes comme ceux de la FSBD (Formation Santé Bucco-Dentaire) privilégient une approche fondée sur les bonnes pratiques, l’observation clinique et la formation du personnel de soins.

Cet article compare, à la lumière des données scientifiques, ces deux approches : la standardisation par protocoles, versus l’apprentissage de bonnes pratiques adaptées à la personne âgée.

 

Les protocoles standardisés : un socle utile, mais limité

Les protocoles émis par certaines organisations de soins, reposent sur un algorithme de décision combinant : autonomie, risque de fausse route, présence de dents ou de prothèses, risque d’opposition, etc. Chaque combinaison (jusqu’à 48 profils possibles) génère une fiche illustrée décrivant pas à pas les étapes de la toilette buccale : préparation du matériel, mise en sécurité, brossage, vérification et traçabilité.

  • Les atouts sont une uniformisation des pratiques et traçabilité, un repère visuel simple pour les soignants débutants, une meilleure intégration dans les audits qualité.
  • Les limites : aucune évaluation de l’état réel de la bouche (douleur, lésions, sécheresse), pas de boucle de rétroaction : le protocole reste figé, un risque de “faire sans comprendre” et enfin de créer un détachement entre le soin exécuté et la situation clinique.

Les protocoles peuvent donc garantir une conformité minimale, mais ils n’induisent pas forcément une amélioration mesurable de la santé bucco-dentaire.

Les bonnes pratiques : la compétence plutôt que la procédure

L’approche promue par la FSBD repose sur deux piliers complémentaires : la formation continue du personnel soignant et l’adaptation du soin à chaque personne.
Elle consiste à observer systématiquement les gencives, les dents, les prothèses et les muqueuses afin d’évaluer et de documenter l’état bucco-dentaire à l’aide d’outils validés tels que l’OHAS ou l’OHS-interRAI. Ces outils garantissent un suivi objectif et régulier, planifié selon l’état buccal du résident (réévaluation à 3, 6 ou 12 mois).
Enfin, cette démarche favorise la communication avec le dentiste référent, notamment grâce à la télé-expertise rendue possible par l’Odontoscope®, permettant de confirmer une observation clinique ou d’ajuster le plan de suivi.

Résultats observés

Les études internationales montrent que la formation du personnel améliore la qualité du brossage, réduit la plaque et la gingivite, et favorise la détection précoce des anomalies buccales. Certaines recherches (Yoneyama et al., 2002 ; Liu et al., 2018) indiquent également une diminution de l’incidence des pneumonies lorsque l’hygiène orale est rigoureuse et supervisée.

Ce que recommande la science

Les revues Cochrane (2016) et les études récentes s’accordent :

  • Les protocoles seuls ne suffisent pas ;
  • Les formations structurées, répétées et accompagnées d’outils d’évaluation ont un impact mesurable ;
  • L’intégration dans un système global de soins (interdisciplinarité, dépistage, suivi) est essentielle.

Ces conclusions rejoignent les recommandations de la FDI Vision 2030 et du programme OMS – ICOPE, qui prônent des parcours individualisés plutôt que des routines uniformes.

Vers un modèle intégré : protocole + compétence + évaluation

La voie la plus efficace n’est pas d’opposer les deux approches, mais de les combiner intelligemment :

  1. Des protocoles simplifiés comme base de sécurité et de conformité ;
  2. Des formations régulières pour renforcer la compétence et la motivation ;
  3. Des outils d’évaluation validés (OHAS, OHS-interRAI) pour ajuster le suivi ;
  4. Une boucle de télé-expertise pour les cas complexes.

C’est exactement la logique de la FSBD, qui vise à transformer les soignants en acteurs compétents de la prévention bucco-dentaire plutôt qu’en simples exécutants.

Conclusion

Former plutôt que protocoliser, c’est passer d’une logique d’exécution à une logique de compréhension et de vigilance clinique. L’expérience montre que la véritable prévention bucco-dentaire en maison de repos repose sur des soignants formés, motivés et observateurs, soutenus par des outils structurés et une collaboration à distance avec les dentistes.

La standardisation assure la conformité.
La formation construit la compétence.
Ensemble, elles garantissent la santé orale durable des résidents.

Références bibliographiques principales

  • Albrecht M. et al. (Cochrane Review, 2016) : Oral health educational interventions for nursing home staff and residents.
  • Zhang J. et al. (2021) : Comprehensive caregiver training improves oral hygiene in nursing homes.
  • Yoneyama T. et al. (2002) : Oral care reduces pneumonia in nursing homes.
  • Liu C. et al. (2018) : Oral care measures for preventing nursing home-acquired pneumonia.
  • Chalmers J.M. et al. (2005) : OHAT – validity & reliability.
  • Schoebrechts E. et al. (2024) : OHS-interRAI detects more oral problems than previous interRAI sections.
  • FDI World Dental Federation (2021) : Vision 2030 – Delivering Optimal Oral Health for All.
  • OMS (2017-2024) : Integrated Care for Older People (ICOPE).